Un temps à rester chez soi (Nouvelle Chick-lit)

Un temps à rester chez soi.
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CHICK-LIT




Il pleuvait comme vache qui pisse ce jour-là, et vu la tronche des nuages, je me mis à insulter haut et fort www.météo-bordeaux.com qui m’avait fait mettre une robe estivale et surtout, mes tropéziennes, petites sandales en cuir trouées de partout. 
Oh my god, elle rebique !  pensai-je soudain, lorsque je fis l’erreur de me regarder vite fait dans le rétroviseur central de ma vieille AX blanche.
Pour tout dire, cette bagnole était plus ridée que moi. Pourtant, ça faisait trois ans déjà que je faisais partie des trentenaires, cette tranche d’âge qu’on ne voit pas venir et où ta vie n’est finalement pas celle que t' imaginais lorsque t’étais encore ado. Moi, à l’époque, je pensais avoir un avenir tout tracé… Un mari si possible pas trop moche avec une situation professionnelle normale genre prof, ou non, encore mieux, docteur comme dans la série phare Urgences. Ouais, je voulais une sorte de Georges Clooney avec des cheveux poivre et sel parce que ça fait mature et qui, en rentrant à la maison le soir - une baraque de cent vingt mètres carrés minimum - m’embrasserait avec passion même après avoir fêté nos noces d’étain. Ensuite, il aurait caressait le chien, la copie conforme de celui dans la publicité pour la pâté Cesar. Georges Junior et Georgina auraient accouru pour sauter dans les bras de leur père, puis ils m’auraient demandé tout sourire ce qu’on mangeait pour le dîner. Parce que dans mes rêves, j’étais un véritable cordon bleu ! Sauf que dans la vraie vie, j’étais plutôt du genre à faire cramer les nuggets, et à force de manger les plats surgelés de Marie ou ceux de Pierre Martinet, le traiteur intraitable, je finis par jeter ma balance contre le mur. Malheureusement, mon ancien propriétaire n’était pas quelqu’un de très compréhensif, et ce petit geste prémenstruel me valut deux cent euros sur ma caution afin que Monsieur « Je suis un gros radin alors que je suis pété de tunes », puisse réparer les dégâts. À présent, je vivais dans un autre appartement, plus près du boulot. Avant, je voulais être institutrice. Seulement, une fois mon bac en poche, la fac et moi, ça s’est plutôt mal passé. Du coup, à défaut d’enseigner, j’étais devenue animatrice en centres de loisirs. Un job finalement sympa puisque nous étions payés pour jouer avec les enfants. Oh, pas un salaire mirobolant, mais ça réglait les factures, et contrairement à bon nombre de mes amis, je n’avais pas la boule au ventre le dimanche soir.
Contrariée, j’essayais de remettre cette foutue mèche rebelle à sa vraie place, mais se recoiffer en conduisant n’est pas si facile et une seconde de plus, je rentrais dans le cul de la BMW.
—D’où on s’arrête à un feu orange ? Danger public va ! beuglai-je.
Stressée, je zyeutai ma montre pour constater que j’étais très en retard. J’allumai l’autoradio, histoire de me détendre un peu. Sur RTL2, de la pub. Font chier ! Je zappai. Nostalgie ? Non, je n’étais pas d’humeur à écouter des trucs de l’an quarante. Je zappai. Le jingle de Wit-Fm retentit. Il pleuvait de plus en plus fort, à tel point que je fus obligée d’accélérer la cadence de mes essuie-glaces pour y voir quelque chose. Les lames noires en-dessous commençaient à se décoller. Ça grinçait. C’était un petit son aigu et strident, très irritant pour les oreilles. J’inspirai profondément quand Patrick Bruel se mit à pousser la chansonnette.
—On s'était dit rendez-vous dans dix ans…
—C’est une blague ? hallucinai-je.  
Sauf que cela faisait déjà vingt ans, moi, que je ne l’avais pas revu. Deux longues décennies, et pourtant, j’avais l’impression que c’était hier. Moi, lui. Son premier tirage de langue, mon premier coup de pied dans les tibias d’un garçon. Quelle innocence ! Il me traitait d’intello et moi de gros nigaud.
Soudain, mon téléphone se mit à sonner au fond de mon sac à main. Je pariais que c’était lui. J’essayai de récupérer le portable vibrant dans tous les sens, mais au moment où je réussis à l’attraper, plus rien. J’espérais qu’il n’allait pas partir, j’arrivais bientôt. Enfin, si la mamie dans sa voiture devant décidait d’appuyer sur le champignon... Je devais être écarlate.  
Nous avions treize ans lorsque Louis déménagea dans une autre ville, loin de moi. C’était mon meilleur ami, mon premier baiser, ce qui va souvent de paire à cet âge-là. Alors que tu joues dans le bac à sable avec le sexe opposé, l’instant d’après, il te roule une pelle. Louis me manqua beaucoup. Mais la vie n’attend pas. Elle s’en fout et a continué sans lui. Les années ont défilé, pleins d’autres souvenirs se sont entassés. Des histoires sans lendemain, d’autres un peu plus longues. À trente trois ans, je n’avais rien construit de solide à part une étagère Ikéa. Bon ok, je m’étais contentée de monter les différentes pièces ensembles comme indiqué sur la notice. Pour trouver l’homme de sa vie en revanche, c’était moins bien expliqué...    
La semaine dernière, lors d’une soirée alcoolisée, parce qu’avouons-le, les Mister Cocktail, c’est dégueulasse, Julie, ma meilleure amie, m’inscrivit de force sur Facebook.
—Écoute ma poule, l’horloge tourne et si tu veux pas que tes œufs finissent brouillés, il va falloir que tu trouves le père de tes gosses, m’avait-elle sorti, un parapluie cocktail en papier enfoncé dans son chignon.
Deux jours plus tard, Louis me demanda comme amie. Il était revenu. Et si c’était lui, mon prince charmant ?
Mon portable vibra à nouveau. Un message vocal. Enfin arrivée à destination, je stationnai à cheval sur deux places pour me dépêcher de l’écouter.
—Allô Sarah, c’est Louis. Tu n’as pas changé, toujours en retard ! rigola-t-il. Par contre, désolé, mais je ne peux pas t’attendre plus longtemps là. J’aurais souhaité te l'annoncer de vive voix... Si j’ai voulu qu’on se revoit aujourd’hui, c’est parce que tu sais, tu as été ma seule véritable amie en fait, et… Je vais me marier Sarah !
Au même moment, un type me klaxonna en braillant :
—Ho, blondinette, tu pourrais pas mieux t’garer ! 



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