Insomnie Post-Mortem (Nouvelle sur le Deuil)
Exercice sur le thème de
l'insomnie
Par Vanille Bardoz
Pour elle... qui me manque un peu plus chaque jour et qui me manquera toujours.
C’était il y a une semaine à
peine.
—J’ai beaucoup de chance de
t’avoir, m’avait-elle dit en me serrant la main.
Un sourire fatigué étira ses
lèvres. Je respirais par la bouche. Là-bas, je respirais toujours par la
bouche, comme dans les toilettes publiques. Car ça puait. C’était pire qu’à
l’hôpital. Une odeur de vieux et de désinfectant. Je l’étreignis fort contre moi,
et même ses vêtements en étaient imprégnés. Elle ne sentait plus le chanel
numéro 5 et le clafoutis aux cerises. Elle était malade.
Onze heures du soir.
J’éteignis la lumière de ma
chambre.
Mille et un
souvenirs défilaient au rythme de la trotteuse, cette satanée aiguille qui
faisait le tour du cadrant sans jamais s’arrêter, et ce jusqu’à ce que les
piles soient mortes.
Tic tac, tic tac, tic tac.
Mes paupières
étaient gonflées et je peinais à garder les yeux ouverts. Pourtant, ce type qui
passe sa vie à trimballer du sable n’allait pas venir chez moi. Ou bien il
aurait fallu qu’il m’assomme à coup de galets. Et toute seule dans le silence
et l’obscurité, je devais à présent faire face à une déferlante de souvenirs
telle Katrina qui détruisit tout sur son passage. Un violent
raz-de-marée pris en pleine figure !
Son regard, son
rire, mais aussi ses colères et ses plaintes foutaient ma tête en vrac.
Il allait falloir
tout reconstruire.
Minuit.
Comment réaliser
que cette période était finie, balayée ? Comment penser qu’elle n’existait plus
que dans mon cœur ivre de chagrin, à la limite du coma éthylique ? Et pour
cause. J’avais passé ma soirée les doigts tremblants appuyés sur le robinet du
cubi de vin blanc.
00h59.
Tic tac, tic tac, tic tac.
—Non, aller,
arrête d’y penser ! Pense plutôt à… la mer, songeai-je la gorge nouée.
J’étais au bord
des larmes. Encore.
Une heure.
—Pense au bruit
des vagues lorsque cet été tu t’allongeras sur ta serviette, les rayons du
soleil caressant ton dos et tes jambes. Pense à l’énorme crêpe à la chantilly
que tu t’enfileras avec en prime une jolie vue sur l’océan, insistai-je,
luttant contre une nouvelle crise d’angoisse.
Deux heures.
J’avais les yeux
qui piquaient, la tête en feu et l’impression d’avoir un trou béant dans
l’estomac. La plaie était profonde, à vif, et voilà que j’imaginais Docteur
House en train de se pencher sur mon cas pour essayer de trouver le remède.
Aucun mal ne fut alors aussi douloureux.
Trois heures.
Je mordis
furieuse l’oreiller. Il était immaculé de sanglots et je sentis le sel se poser
sur ma langue. C’était insupportable ! Je devais lutter contre moi-même,
contre mon intolérable tristesse en me persuadant que le temps qui passe
finirait par l’atténuer.
Quatre heures.
J’étais assise
dans le noir, recroquevillée sur moi-même au milieu des draps froissés et de
mon inconsolable peine. Puis j’eus subitement envie d’enfoncer mon poing de
rage dans le mur, ce qui peut-être m’aurait soulagée un instant. Mais avoir la
main en miettes n’aurait rien changé !
Cinq heures.
Il fallait subir sans perdre
pied. Sauf que m’amputer d’une jambe aurait été moins lancinant ! C’était
comme les chaises musicales. C’était chacun son tour et on venait de m’enlever
la mienne. Je devais rester debout, les yeux fermés à cloche-pied en équilibre
sur un fil.
Six heures.
Elle était morte.
Elle était réellement morte, pas comme dans les films où les acteurs jouent les
cadavres et où on a beau le savoir, on chiale quand même. Je sentis ma
respiration devenir de plus en plus saccadée. Je devais arrêter de penser à ça,
de penser aux conséquences.
Sept heures.
Sa peau avait été
si dure et tellement froide, elle qui avait toujours eu les mains chaudes et
les joues rosées. Il fallait oublier. J’eus soudain des haut-le-cœur ! Je
n’allais pas tarder à vomir des litres de vin blanc, seul truc que j’avais
réussi à avaler depuis deux jours.
Huit heures.
Je pleurais à
nouveau. Peu importe qu’elle fût âgée, malade et sourde. J’avais passé bien
plus de temps chez elle que dans les bras d’un mec. Elle m’avait gavée d’amour
depuis ma plus tendre enfance, et je ne la remercierai jamais assez.
Neuf heures.
J’attrapai
soudain mon réveil qui s’écrasa à la seconde même contre le mur d’en face,
exutoire temporaire par où s’échappèrent quelques larmes asséchées. Des larmes
qui avaient coulé telle la pluie battante de ce début d’automne, cette saison
où on finit tôt au tard par s’enrhumer.
Dix heures.
Emmitouflée sous
la couverture, je n’avais pas la force de me lever. J’aurais voulu m’endormir
pour oublier le temps d’un rêve la réalité.
Tic tac, tic tac, tic tac.
...
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